mercredi 9 juillet 2008

«Menghir mzeya»



C’était en mai 1991, date anniversaire de l’accession de François Mitterrand à la présidence de la République française. Le parti socialiste avait lancé, à ses frais, bien entendu, la précision étant ici de taille, une campagne d’affichage faite d’une seule affiche où l'on pouvait lire «dix ans qu’on sème». Un citoyen, de passage devant l’une de ces affiches, avait ajouté avec du feutre deux petites «bricoles» … pour que l’ensemble devienne «dix ans qu’on sème la M…».

La semaine dernière, une grosse polémique a agité le microcosme politique français à propos d’une campagne publicitaire, lancée par le gouvernement, sur les mesures en faveur du pouvoir d’achat. Le point de divergence n'était pas tant l’initiative gouvernementale en elle-même, mais le fait que cette campagne ait été financée par des fonds publics.

Ici, «chez nous», je parle de la Tunisie bien sûr, et comme diraient nos jeunes, «kol chay normal». A l’occasion de chaque fête du sept novembre, nos nombreuses chaînes de télévisions publiques (21 au total, mais il y en a 19 qui préfèrent garder l’anonymat) passent en boucle des clips vantant les innombrables réalisations entreprises dans tous les domaines. Des réformes institutionnelles consacrant la République de demain (pourquoi est-elle toujours reportée d’ailleurs?) au plan national de préservation de sites nationaux protégés; khcham el Kalb et Bouhedma compris y passent avec force détails.

En cette occasion de la fête du "changement", les journaux, comme les librairies, fleurissent de papiers et d’œuvres exhibant des chiffres relatifs à l’économie qui feraient pâlir d’envies les dragons d’Asie réunis. Des réalisations grandioses devant lesquelles le pont de Brooklyn, le viaduc de Millau et le tunnel sous la manche ne seraient que quantité négligeable. Des acquis sociaux à faire rougir de honte la Scandinavie et son légendaire modèle d’Etat Providence. Un système scolaire que le Canada, l’Allemagne; les USA et la GB fédérés n’arriveraient pas à réaliser.

Face à autant de succès et d’œuvres éclatantes, que nous est-il demandé à nous, citoyens, sinon d’applaudir à tout rompre? Composer des hymnes à la gloire des initiateurs de cette marche triomphatrice? Remercier sans jamais se fatiguer nos généreux bienfaiteurs? Et, surtout, ne piper mot ni esquisser la moindre critique sinon …? Un festival de noms d’oiseaux, d’invectives et de «takhouine» s’ouvrira avec les classiques du genre: agitateurs, perturbateurs, salonards aigris, suppôts de l’étranger, pêcheurs en eaux troubles, trublions, etc. …

En effet, dans notre chère Tunisie, le guide du parfait citoyen exige de ce dernier qu’il n’ait point d’esprit critique et qu’il ne se soucie guère de la façon avec laquelle la chose publique est administrée.

Que l’infrastructure soit renforcée, qu’il y ait des avancées sociales, politiques et économiques, n’est-ce pas le rôle naturel des gouvernants qui doivent œuvrer pour le bien public? N’ont-ils pas été choisis pour servir l’intérêt général? Alors pourquoi les remercier? Pour avoir simplement accompli leur devoir?!

Dans un pays démocratique, la seule façon de juger de l’action d’un gouvernement, c’est le prononcé des urnes, avec deux types de verdict: soit la sanction, soit un nouveau mandat qui signifie un renouvellement de confiance par le peuple.

En conclusion, comme servir ses concitoyens est une lourde responsabilité et un honneur, nous vous dirons pour toute œuvre accomplie«yaatikom essaha» et non «barakalahoufikom». Car c’est dans l’essence même du service public que celui qui en est l’auteur n’ait point de «mzeya».


article publié

The man in red

3 commentaires:

Nagy a dit…

Soyons favorables au mandat unique et irrépressible de trente ans non-renouvelable, ça nous évitera une demi-douzaine de campagnes et d'élections, deux référendums, les consultations juridiques qui vont avec, et les dépenses des trop rares deniers publics qu'elles entraînent. En vérité, je vous le dis, un seul mandat de trente ans c'est la solution!!!

wafa a dit…

oui... c'Est cela, réglons un problème par une catastrophe!!!

Anonyme a dit…

Je suis tout à fait d'accord avec nagy mais g bien peur qu'on nous dise qu'on va recommencer à partir de zéro. Là c la catastrophe...