lundi 28 juillet 2008

lettre au banquier


Monsieur le banquier, Nous nous connaissons depuis désormais bien des années. C'est chez vous que j'ai ouvert mon compte lorsque, impatient et heureux d'entrer dans la vie active, j'ai démarré ma carrière professionnelle. C'est vers vous que je me suis tourné lorsque j'ai souhaité acquérir un véhicule (qui, quoique libellé populaire et indispensable à la bonne marche de ma profession, m'a semblé devant toutes les difficultés rencontrées pour l'obtention du crédit auprès de votre institution, relever du grand luxe superflu voire d'un yacht pour oisif fortuné. Passons). C'est vers vous que je souhaite me tourner lorsque, poussé par la contrainte et d'autres facteurs me semblant si lointains actuellement, je serai acculé à fonder une famille et à prendre épouse, et de ce fait à acheter un bien immobilier, que je devrai financer par votre truchement (jamais gracieux, nous nous comprenons bien).En bref, c'est avec vous que, bien contraint je l'admets, je construis ma vie, ce qui vous place au premier rang pour savoir ce qu'il en est de mon existence -plus que mes proches eux-mêmes, je dois le reconnaître. D'où la nécessité d'avoir un banquier à l'écoute des besoins de sa clientèle, assorti d'une relation de service de qualité.De tout ce qui précède, vous savez pertinemment que ma situation de fonctionnaire, universitaire et enseignant fait que même si mes revenus ne souffrent pas de gigantisme, ils sont constants, durables dans le temps, arrivent avec une régularité d'administration publique sur mon compte, et que vu mon âge, vous pouvez et pourrez thésauriser sans relâche. D'où mon étonnement le plus scandalisé quand à votre décision, sans avertissement préalable, d’ordonner l’interception de ma carte de retrait. Je ne suis pas sans savoir que mon compte bancaire n’arrive pas à émerger du rouge abyssal dans lequel il s’est engouffré depuis une dizaine de mois. Les éléments précités l'expliquent. Toutefois Monsieur, vous manifestez, par votre attitude si violente, un mépris total des aspects conjoncturels tout à fait défavorables à tout honnête citoyen, de surcroît un universitaire qui depuis quelques années , ironie du « statut » n’arrive plus a joindre les deux bouts. Le responsable clientèle s’est-il transformé chez vous en gardien des comptes ?
L’universitaire que je suis est payé pour construire un savoir et le partager, pour errer dans des espaces de liberté, pour apporter des compréhensions nouvelles aux choses qui nous entourent. Fonctionnaire qui, pour cela, doit se prendre en charge pour se documenter, pour mener ses recherches, pour observer, pour écrire, pour s’appuyer sur une technologie, et accessoirement pour manger, boire et s’habiller… et fonder une famille (notez dans quelle chaîne de priorité vous me soumettez). En résumé, un universitaire ! Un vrai, un pur et dur, fauché en perspective et bientôt nouveau prolétaire. Nous risquons d'être nombreux dans ce cas...

Je comprends d'autant moins, Monsieur le banquier, qu’étant fournisseur de service à grande échelle à une clientèle fréquemment dans un cas similaire au mien, vous ne preniez pas en considération ma position et ses avantages. Songez qu'après tout, ma fonction sera moins facilement remise an question que la vôtre... On a en effet plus souvent (quoique rarement, fort heureusement) vu une institution bancaire tomber en faillite qu'un état. Et c'est ce dernier qui m'emploie.

Ne voyez vous pas que tout s’envole et que tout augmente, l’essence, le fer, le ciment, le riz, le lait, le cuivre... Tout, absolument tout, à l’exception notable de la liberté et du pouvoir d’achat qui s’enfoncent d’avantage de jour en jour. La première n'étant pas de votre ressort, soyez actif à maintenir le second à flot.

Je comprends bien que vous ayez la lourde tâche de gérer les risques. Mais à force d’en prendre plus qu’il n’en faut en haut, vous étouffez tout le bas. C’est ce qu’on appelle du clientélisme. Il ne faut pas permettre à certains de jouer les riches quand ils n'ont pas le sou, surtout au détriment de ceux qui ne veulent que vivre décemment, et qui en ont un peu, de sous. Si peu... Mais qui en font tellement avec ce petit peu.

Une plaisanterie courue veut qu’un banquier soit celui qui vous prête un parapluie quand le soleil brille, pour vous le retirer dés qu’il commence a pleuvoir. Le soleil tape fort en ce moment; mais la météo de nos finances est des plus maussade. Reprenez votre parapluie, et aidez-moi d'une bouée s'il vous plaît.

Moody

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